10
Le poids des réputations

 

 

Le soleil brillait de tous ses rayons le lendemain qui suivit leur départ de Longueselle. Les compagnons, reposés par leur visite chez les Harpell, chevauchaient à un rythme soutenu et profitaient malgré tout de la sérénité du temps et du voyage. La région était plate et désolée : pas un arbre ou une colline à l’horizon.

— Trois jours pour arriver à Nesme, quatre peut-être, leur dit Régis.

— Trois jours plutôt, si le temps se maintient, dit Wulfgar.

Drizzt tressaillit imperceptiblement sous sa capuche. Si plaisante que puisse leur sembler la matinée, il savait qu’ils se trouvaient encore dans des contrées sauvages. Trois jours pourraient être bien longs.

— Tu sais quoi d’cet endroit, Nesme ? demanda Bruenor à Régis.

— Seulement ce que Harkle nous en a dit, répondit Régis. Une cité de bonne taille, un peuple de commerçants. Mais ils sont méfiants. Je n’y suis jamais allé, mais les histoires sur les braves gens vivant à la frontière des landes Éternelles voyageaient loin.

— Je suis intrigué par les landes Éternelles, dit Wulfgar. Harkle n’a pas dit grand-chose sur l’endroit. Il s’est contenté de secouer la tête et de frissonner chaque fois que je lui posais des questions.

— Un lieu portant un nom plus vrai que nature, pour sûr, dit Bruenor en riant, peu impressionné par les réputations. Ça pourrait être pire que l’Val ?

Régis haussa les épaules, pas vraiment convaincu par l’argument du nain.

— Les légendes qui courent sur les landes aux Trolls, c’est le nom donné à ces contrées, sont peut-être exagérées, mais elles sont aussi inquiétantes. Chaque cité du nord salut le courage des habitants de Nesme, car ils parviennent à garder ouverte la route du commerce qui longe la Surbrin, en dépit de telles difficultés.

Bruenor rit encore.

— S’pourrait-il pas qu’les histoires viennent de Nesme et enjolivent les exploits ?

Régis n’argumenta pas.

Lorsqu’ils s’arrêtèrent pour déjeuner, une brume voilait le soleil. Au nord, une ligne sombre de nuages était apparue. Elle se dirigeait rapidement vers eux. Drizzt n’était pas surpris. En pleine nature, le climat lui-même pouvait être un ennemi.

Dans l’après-midi, le front orageux passa au-dessus de leurs têtes, apportant avec lui des trombes d’eau et de la grêle qui résonnait sur le casque bosselé de Bruenor. Des éclairs zébrèrent soudain le ciel sombre et le tonnerre les fit presque tomber de leurs montures. Mais ils poursuivirent laborieusement leur route dans la boue qui s’épaississait de plus en plus.

— Voilà la véritable épreuve de la route ! leur cria Drizzt dans le hurlement du vent. Il y a bien plus de voyageurs vaincus par les orages que par les orques. Car ils n’anticipent pas les dangers lorsqu’ils entreprennent leur voyage !

— Bah ! Une pluie d’été, sans plus ! s’exclama Bruenor d’un ton de défi.

Comme piqué au vif, un éclair explosa à quelques mètres seulement des cavaliers. Les chevaux se cabrèrent et ruèrent. Le poney de Bruenor trébucha, glissa dans la boue et écrasa presque le nain dans sa chute.

Ayant perdu le contrôle de sa propre monture, Régis réussit à sauter de la selle et à éviter les jambes du poney en faisant un roulé-boulé.

Bruenor se mit à genoux et essuya la boue qui l’aveuglait, tout en proférant des jurons.

— Par les Neuf Enfers ! cracha-t-il en observant les mouvements du poney. Cette bestiole n’est bonne à rien !

Wulfgar calma son cheval et essaya de se lancer à la poursuite du poney de Régis qui s’emballait. Mais les grêlons, poussés par le vent, le bombardèrent, l’aveuglèrent et cinglèrent son cheval, et il dut de nouveau lutter pour rester en selle.

Un autre éclair fusa. Puis un autre.

Drizzt murmura doucement et couvrit la tête de son cheval avec sa cape pour le calmer. Puis il avança lentement vers le nain.

— Bon à rien ! s’écria de nouveau Bruenor, même si Drizzt l’entendait à peine.

Drizzt secoua la tête avec désarroi et montra du doigt la hache de Bruenor.

D’autres éclairs fusèrent, puis une nouvelle rafale de vent souffla. Drizzt roula sur le côté de l’animal pour se protéger, se rendant compte qu’il ne pourrait pas apaiser plus longtemps l’animal.

Les grêlons se firent plus gros, frappant avec la force de projectiles de lance-pierres.

La monture terrifiée de Drizzt le jeta à terre et détala, terrifiée par le violent orage.

Drizzt se releva rapidement aux côtés de Bruenor, mais tous les plans d’urgence que les deux amis auraient pu avoir furent immédiatement anéantis, car Wulfgar s’avança alors en titubant vers eux.

Il marchait – tant bien que mal – luttant contre la force du vent dont il se servait pour se tenir debout. Son regard était vague, sa mâchoire se convulsait et sa joue était maculée de sang mêlé à la pluie. Il regarda ses amis, avec des yeux vides, comme s’il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé.

Puis il s’écroula à leurs pieds, la tête la première dans la boue.

Un sifflement perçant le mur du vent leur parvint, un lumignon d’espoir au sein de la fureur grandissante de la tempête. L’ouïe fine de Drizzt le perçut alors que Bruenor et lui tiraient hors de la boue le visage de leur jeune ami. Le sifflement semblait venir de très loin, mais Drizzt savait à quel point les tempêtes pouvaient déformer les perceptions.

— Quoi ? demanda Bruenor en remarquant la réaction du drow, car il n’avait pas entendu l’appel.

— Régis ! répondit Drizzt.

Il commença à tirer Wulfgar en direction du sifflement. Bruenor le suivit. Ils n’avaient pas même le temps de vérifier si le jeune homme était encore vivant.

C’est la vivacité d’esprit du halfelin qui les sauva ce jour-là. Tout à fait conscient du potentiel meurtrier des tempêtes qui déboulaient de l’Épine dorsale du Monde, Régis avait cherché en rampant un abri sur le terrain désolé.

Il avait découvert un trou creusé dans le flanc d’une crête : peut-être un ancien antre de loups, désormais vide.

Se guidant sur ses sifflements, Drizzt et Bruenor le trouvèrent sans tarder.

— Elle va se remplir avec la pluie et nous noyer ! hurla Bruenor.

Mais il aida Drizzt à tirer Wulfgar à l’intérieur et à le caler contre la paroi au fond de la grotte. Puis il s’assit à côté de ses amis tandis qu’ils travaillaient à construire un barrage contre l’inondation redoutée avec de la terre et les paquetages qui leur restaient.

Régis se précipita vers Wulfgar en l’entendant pousser un gémissement.

— Il est vivant ! proclama le halfelin. Et ses blessures n’ont pas l’air trop graves !

— Plus coriace qu’un blaireau aux abois, remarqua Bruenor.

Leur tanière fut bientôt supportable, si elle n’était pas confortable, et même Bruenor cessa de se plaindre.

— La véritable épreuve de la route, répéta Drizzt à Régis, pour dérider son ami qui semblait profondément abattu alors qu’ils étaient assis dans la boue à attendre l’aube.

Le roulement incessant du tonnerre et le pilonnage de la grêle leur rappelaient sans cesse la précarité de leur situation.

En guise de réponse, Régis retira sa botte et en fit couler un torrent d’eau.

— On a parcouru combien de lieues, tu penses ? grommela Bruenor à l’intention de Drizzt.

— Quinze peut-être, répondit le drow.

— À ce rythme, on s’ra à Nesme dans deux dizaines ! marmonna Bruenor en croisant les bras sur sa poitrine.

— La tempête passera, hasarda Drizzt avec espoir, mais le nain ne l’écoutait plus.

 

***

 

La pluie avait cessé le lendemain, mais une couverture épaisse de nuages gris obscurcissait le ciel. Wulfgar allait bien en se réveillant, mais il ne comprenait toujours pas ce qui lui était arrivé. Bruenor insista pour partir sur-le-champ, même si Régis aurait préféré rester dans leur grotte jusqu’à ce qu’ils soient sûrs que la tempête était bien passée.

— Nous avons perdu presque toutes les provisions, rappela Drizzt au halfelin. Mise à part une maigre ration de pain rassis… Tu risques de ne rien avoir d’autre à manger jusqu’à Nesme.

Régis fut le premier à émerger du trou.

Une humidité insupportable et un terrain boueux les ralentirent. Et les quatre amis eurent bientôt mal aux genoux à force de patauger dans la boue. Leurs vêtements trempés leur collaient au corps et gênaient leurs mouvements, rendant chaque pas pénible.

Ils tombèrent sur le cheval de Wulfgar, une silhouette carbonisée et fumant encore, à moitié ensevelie dans la boue.

— La foudre, dit Régis.

Les trois compagnons regardèrent le jeune barbare, stupéfaits qu’il ait pu survivre à un tel coup. Wulfgar regarda lui aussi la carcasse, choqué, et comprenant ce qui l’avait fait choir de sa monture pendant la nuit.

— Plus coriace qu’un blaireau ! tonitrua de nouveau Bruenor à l’adresse de Drizzt.

De temps à autre, un rayon s’immisçait et perçait la couverture de nuages. Mais le soleil était vraiment timide, et à midi, le jour était encore plus sombre que dans la matinée. Le tonnerre lointain annonçait un après-midi lugubre.

La tempête avait épuisé sa rage meurtrière, mais ce soir-là leurs vêtements mouillés furent leur seule protection, et chaque fois qu’un éclair illuminait le ciel, quatre formes prostrées assises dans la boue se profilaient, les têtes baissées, acceptant leur sort avec une résignation désespérée.

Ils avancèrent d’un pas lourd dans la pluie et le vent pendant encore deux jours, ayant peu de choix et nulle part où aller, si ce n’est de l’avant. Wulfgar fut celui qui sauva le moral du groupe pendant ces jours difficiles. Il souleva Régis du sol détrempé, mettant facilement le halfelin sur son dos et expliqua qu’il avait besoin du poids supplémentaire pour bien équilibrer sa charge. En préservant ainsi la fierté du halfelin, le barbare réussit même à convaincre le nain maussade de faire de même pendant un court moment. Et Wulfgar continua à répéter inlassablement.

— Une bénédiction, je vous le dis, criait-il en s’adressant au ciel gris. La tempête chasse les insectes… et les orques ! Et combien de mois vont passer avant que le besoin d’eau se fasse ressentir ?

Il s’évertua à leur remonter le moral. À un moment donné, il observa les éclairs avec attention, calculant le laps de temps qui s’écoulait entre la foudre et le tonnerre qui suivait. Alors qu’il s’approchait du squelette noirci d’un arbre mort depuis longtemps, un éclair illumina le ciel et Wulfgar sortit un de ses tours de sa manche. Il hurla : « Tempus ! », puis souleva son marteau pour l’abattre et aplatir le tronc au moment exact où le tonnerre explosait autour d’eux. Ses amis se retournèrent, amusés, et le virent fièrement dressé, bras et yeux levés vers les dieux, comme s’ils avaient personnellement répondu à son appel.

Drizzt acceptait l’épreuve avec son stoïcisme habituel. Il applaudit silencieusement son jeune ami, et sut, une fois de plus, avec encore plus de certitude, qu’ils avaient pris une sage décision en lui demandant de les accompagner. Le drow comprenait que son devoir à lui, durant cette période difficile, était de continuer à jouer son rôle de sentinelle, de ne pas baisser la garde. Et ce, malgré les affirmations du barbare qui leur assurait qu’aucun danger ne les guettait.

La tempête fut finalement chassée par le même vent vif qui l’avait poussée vers eux. Le soleil éclatant et le ciel bleu azur de l’aube suivante remontèrent grandement le moral des compagnons et leur permirent de penser à ce qui les attendait plus loin.

Bruenor surtout. Le nain était penché en avant dans sa marche pressée, exactement comme il l’était lorsqu’ils avaient quitté Valbise au début de leur voyage.

Sa démarche énergique faisait tressauter sa barbe rousse. Il avait retrouvé sa concentration. Il se laissa aller aux rêveries de sa patrie, revoyant les ombres tremblantes jetées par la lumière des torches contre les parois ruisselantes d’argent et les merveilleux artefacts, les ouvrages méticuleux de son peuple. Sa profonde réflexion au sujet de Castelmithral ces derniers mois avait fait resurgir de nouveaux souvenirs, plus nets ; et il se remémorait désormais, pour la première fois en plus d’un siècle, la Salle de Dumathoïn.

Les nains de Castelmithral vivaient bien du commerce de leurs pièces d’orfèvrerie, mais ils gardaient toujours pour eux leurs plus beaux objets, et les cadeaux les plus précieux qui leur étaient donnés par des étrangers. Dans une vaste salle ornée, dans laquelle chaque visiteur écarquillait les yeux, l’héritage des ancêtres de Bruenor était exposé à la vue de tous et servait d’inspiration aux futurs artistes du clan.

Bruenor rit doucement en se rappelant l’extraordinaire salle et les magnifiques objets : des armes et des armures essentiellement. Il regarda Wulfgar qui marchait à ses côtés, et le puissant marteau de guerre qu’il avait forgé l’année précédente. Si le clan de Bruenor dirigeait toujours Castelmithral, Crocs de l’égide aurait pu être suspendu dans la Salle de Dumathoïn, ce qui aurait valu à Bruenor une renommée éternelle.

Mais en admirant Wulfgar manier le marteau et le lancer aussi facilement qu’il pouvait balancer son bras, Bruenor n’éprouvait aucun regret.

Le lendemain leur apporta d’autres bonnes nouvelles. Peu de temps après avoir levé le camp, les amis découvrirent qu’ils avaient parcouru une plus grande distance qu’ils l’avaient pensé lors des assauts de la tempête, car, au fur et à mesure qu’ils avançaient, le paysage autour d’eux commença à se transformer imperceptiblement, mais sûrement. Alors que plus tôt le sol était couvert de maigres plaques d’herbe, une mer de boue virtuelle sous le torrent de pluie, ils foulaient désormais de grasses étendues verdoyantes et découvraient, ici et là, des bosquets de grands ormes. Leur arrivée au faîte d’une dernière crête confirma leurs espoirs, car la vallée du Dessarin s’étendait devant eux. À quelques kilomètres de là, gonflé par la fonte du printemps et la récente tempête, et clairement visible depuis leur promontoire, l’affluent de la grande rivière descendait vers le sud.

Le long hiver dominait cette contrée, mais lorsqu’elles fleurissaient enfin, les plantes compensaient la fugacité de leur vie par un chatoiement de couleurs unique au monde. Les couleurs vives du printemps environnaient les quatre amis tandis qu’ils descendaient vers la rivière. Le tapis d’herbe était si épais qu’ils retirèrent leurs bottes et s’enfoncèrent pieds nus dans la douceur moelleuse. La vitalité ici était évidente et contagieuse.

— Si seulement vous pouviez voir les halls ! s’exclama Bruenor. Des veines de mithral pur plus larges que vot’main ! Des torrents d’argent qu’elles sont, et rien ne peut les surpasser en beauté, si ce n’est la main du nain qui en façonne des objets.

— Le désir de voir un tel spectacle, voilà ce qui nous fait garder le cap, en dépit des difficultés rencontrées sur le chemin, répliqua Drizzt.

— Bah ! dit Bruenor avec bonne humeur. T’es ici parce que j’t’ai forcé la main, elfe. Tu ne trouvais plus de raisons pour m’empêcher de me lancer dans l’aventure !

Wulfgar ne put se retenir de rire. Il avait participé à la ruse qui avait dupé Drizzt et lui avait fait promettre de prendre part à ce voyage. Après la grande bataille à Dix-Cités contre Akar Kessell, Bruenor avait feint une blessure mortelle et sur son faux lit de mort avait supplié le drow de partir avec lui à la recherche de son ancienne patrie. Croyant que le nain était sur le point de rendre son dernier soupir, Drizzt n’avait pas eu le cœur de refuser.

— Et toi ! rugit Bruenor à l’adresse de Wulfgar. J’sais bien pourquoi t’es venu, même si ton crâne est trop épais pour le comprendre !

— Je t’en prie, dis-moi, répliqua Wulfgar en souriant.

— Tu fuis ! Mais tu ne peux pas t’échapper ! s’exclama le nain. La bonne humeur de Wulfgar se mua en perplexité.

— La fille lui a fait peur, elfe, expliqua Bruenor à Drizzt. Catti-Brie l’a piégé dans un filet dont il arrive pas à se dépêtrer, en dépit de sa force !

Wulfgar rit sans se vexer en entendant les conclusions hardies de Bruenor. Mais grâce aux images que les allusions de Bruenor avaient évoquées, les souvenirs du spectacle d’un coucher de soleil sur le versant du Cairn de Kelvin ou d’heures passées à bavarder sur l’amoncellement de rochers appelé la Rampe de Bruenor, le jeune barbare découvrit que les observations du nain recélaient un troublant élément de vérité.

— Et qu’en est-il de Régis ? demanda Drizzt à Bruenor. As-tu compris pourquoi il nous accompagne ? Serait-ce à cause de son affection pour la boue profonde qui aspire ses petites jambes jusqu’au genou ?

Bruenor cessa de rire et observa la réaction du halfelin aux questions du drow.

— Nan, je n’ai pas compris, répliqua-t-il avec sérieux, après quelques minutes d’un silence pesant. Ce que je sais en tout cas : si Ventre-à-Pattes choisit la route, ça ne peut signifier qu’une chose : c’est que la boue et les orques représentent une perspective plus attrayante que ce qu’il laisse derrière lui.

Bruenor garda le regard rivé sur son ami de petite taille, cherchant des indices dans la posture du halfelin.

Régis garda la tête baissée tandis qu’ils se frayaient un chemin à travers l’épaisse prairie ondulante. Il regardait ses pieds poilus, visibles pour la première fois depuis des mois et auparavant dissimulés par les replis de graisse de son ventre qui avait fondu. L’assassin, Entreri, était à mille lieues, pensait-il. Et il n’avait nullement l’intention de s’appesantir sur un danger qui avait été évité.

Quelques kilomètres plus haut, sur la berge, ils tombèrent sur la première fourche importante de la rivière. La Surbrin qui descendait du nord-est se vidait dans le cours principal de l’affluent nord du réseau de la magnifique rivière.

Les amis cherchèrent un moyen de traverser le plus grand fleuve, le Dessarin, afin d’atteindre la petite vallée qui se trouvait entre elle et la Surbrin. Nesme, leur prochaine et dernière étape avant Lunargent, était situé plus haut sur la Surbrin. Et bien que la cité soit en fait sur la rive est de la rivière, les amis avaient décidé de suivre le conseil de Harkle Harpell et décidé de remonter la rive ouest afin d’éviter les dangers tapis dans les landes Éternelles.

Ils traversèrent le Dessarin sans trop de problèmes : grâce à l’extraordinaire agilité du drow qui passa par-dessus la rivière en rampant le long d’une branche d’arbre qui la surplombait, puis qui sauta sur une perche similaire située sur l’autre berge. Peu après, ils marchaient tous facilement le long de la Surbrin en savourant le soleil, la brise chaude et la chanson sans fin de la rivière. Drizzt réussit même à abattre un renne avec son arc, leur procurant ainsi un bon souper de gibier et de nouvelles provisions pour la route.

Ils installèrent leur camp au bord de l’eau, sous un ciel étoilé, le premier depuis quatre nuits. Ils se rassemblèrent autour d’un feu et écoutèrent les histoires de Bruenor sur les halls d’argent et les merveilles qu’ils découvriraient au bout du voyage.

La sérénité de la nuit ne se prolongea pas jusqu’au matin, toutefois, puisque les amis furent réveillés par les rumeurs d’un combat. Wulfgar escalada immédiatement un arbre qui se trouvait à côté pour voir les combattants.

— Des cavaliers ! hurla-t-il en sautant à terre. (Et il sortit son marteau avant même de toucher le sol.) Quelques-uns sont en mauvaise posture ! Ils se battent contre des monstres que je n’ai jamais vus !

Il partit en courant vers le nord, Bruenor sur ses talons, et Drizzt les contourna le long de la rivière. Moins enthousiaste, Régis resta en arrière. Il sortit sa petite masse, mais ne se prépara pas vraiment pour un combat rapproché.

Wulfgar fut le premier sur les lieux. Sept cavaliers étaient encore en selle. Ils essayaient en vain de former une espèce de ligne de défense avec leurs montures. Les créatures qu’ils affrontaient étaient rapides et n’avaient pas peur de courir sous les jambes des chevaux qui piaffaient pour les faire trébucher. Les monstres ne faisaient même pas un mètre de haut. Mais leur bras en mesuraient près de deux. Ils faisaient penser à de petits arbres, indéniablement animés toutefois, courant dans tous les sens, donnant de grands coups de leurs bras semblables à des massues ou, comme le découvrit un autre malheureux cavalier au moment même où Wulfgar se mêlait à la bagarre, enroulant leurs membres souples autour de leurs ennemis afin de les faire tomber de leurs montures en les tirant.

Wulfgar fonça entre deux créatures en les écartant et en les assommant, puis il fondit sur celui qui venait de faire tomber le cavalier. Le barbare sous-estimait les monstres, toutefois. Car ses orteils, semblables à des racines, permirent à la créature de retrouver rapidement son équilibre et ses longs bras agrippèrent le barbare par-derrière avant qu’il ait pu faire deux pas.

Bruenor chargea juste derrière lui. La hache du nain s’abattit sur l’un des monstres, le fendant en deux comme du bois de chauffage, puis frappa l’autre avec sauvagerie, faisant voltiger un large morceau de sa poitrine.

Drizzt se jeta dans la bataille, inquiet mais tempéré, comme toujours, par la sensibilité exacerbée qui lui avait permis de survivre à des centaines de combats. Il se déplaça en descendant sur le côté, au pied de la berge abrupte, où il tomba sur un pont de rondins branlant qui enjambait la Surbrin. Drizzt comprit instantanément que les monstres l’avaient construit : ces créatures étaient apparemment capables de penser.

Drizzt jeta un coup d’œil au-dessus de la berge. Les cavaliers s’étaient rassemblés autour des renforts inattendus. Mais l’un d’eux qui se trouvait juste devant Drizzt avait été saisi par un monstre qui l’étouffait avec ses bras et le faisait tomber de son cheval. Il observa les caractéristiques de leurs étranges ennemis. Ces créatures faisaient penser à des arbres. Drizzt comprit alors pourquoi les cavaliers brandissaient tous des haches et il se demanda si la finesse de ses cimeterres pourrait être d’une quelconque efficacité.

Mais il devait intervenir. Bondissant hors de sa cachette, il menaça la créature avec ses deux cimeterres. Les lames ne lui firent que deux petites encoches, sans plus d’effet que si Drizzt avait frappé un arbre.

L’intervention du drow avait toutefois sauvé le cavalier. Le monstre donna un dernier coup de gourdin à sa victime pour l’étourdir, puis relâcha sa prise afin d’affronter Drizzt. Réfléchissant vite, le drow passa à une autre tactique : il se servit de ses lames inefficaces pour parer les coups des membres qui faisaient office de gourdins. Puis, au moment où la créature fondait sur lui, il se jeta à ses pieds, la déracina, et la fit rouler par-dessus lui en direction des berges. Il enfonça ses cimeterres dans la peau semblable à de l’écorce et poussa. Le monstre dégringola vers la Surbrin. Il s’accrocha à quelque chose juste avant de tomber dans l’eau, mais Drizzt fut de nouveau sur lui. Une volée de coups de pied bien placés précipita le monstre dans les flots et la rivière l’emporta.

Le cavalier avait recouvré ses esprits et était remonté en selle. Il guida son cheval vers la berge pour remercier son sauveteur.

C’est alors qu’il vit sa peau noire.

— Un drow ! hurla-t-il et le tranchant de sa hache s’abattit.

L’attaque prit Drizzt par surprise. Ses réflexes rapides lui permirent de lever une lame assez vite pour dévier le bord de la hache, mais le plat de l’arme le toucha à la tête et le fit chanceler. Il plongea, suivant l’élan du coup, et roula, essayant de mettre autant de distance que possible entre lui et le cavalier, car il avait conscience que l’homme le tuerait avant qu’il puisse se ressaisir.

— Wulfgar ! s’écria Régis depuis sa propre cachette, un peu plus loin en retrait de la berge.

Le barbare acheva l’un des monstres d’un coup étourdissant qui le fendit sur toute sa longueur et se retourna au moment précis où le cavalier tournait bride vers Drizzt.

Wulfgar poussa un rugissement de rage et abandonna son propre combat, puis il saisit la bride du cheval alors qu’il était en train de volter et tira de toutes ses forces. Monture et cavalier furent renversés. Le cheval se releva tout de suite en secouant la tête et en trottant nerveusement à droite et à gauche, mais le cavalier resta à terre. Sa jambe avait été écrasée dans la chute par le poids de sa monture.

Les cinq cavaliers restants faisaient maintenant bloc, chargeant des groupes de monstres et les dispersant. La hache redoutable de Bruenor faisait des ravages, et le nain la maniait en chantant une chanson de bûcheron qu’il avait apprise lorsqu’il était enfant :

Va fendre le bois pour le feu, mon fils,

fais chauffer la bouilloire et le repas est prêt !

… chantait-il en abattant un monstre après l’autre, méthodiquement.

Wulfgar se tenait à califourchon sur Drizzt qui était inanimé. Il le protégeait et fracassait avec son marteau tous les monstres qui s’aventuraient trop près.

Ce fut la débâcle et en quelques secondes les créatures qui avaient survécu, terrorisées, s’enfuirent en traversant le pont qui enjambait la Surbrin.

Trois cavaliers étaient à terre, morts. Un quatrième s’appuyait lourdement sur son cheval. Il était sur le point de succomber à ses blessures. Quant à celui que Wulfgar avait fait tomber, il s’était évanoui de douleur. Mais les cinq encore en selle ne se rendirent pas auprès des blessés. Ils formaient un demi-cercle autour de Wulfgar et Drizzt, qui commençait tout juste à recouvrer ses esprits, et acculaient les deux amis à la berge de la rivière.

— C’est comme ça que vous r’merciez vos sauveurs ? aboya Bruenor. (Il écarta un des chevaux en lui donnant une claque de façon à pouvoir rejoindre ses amis.) J’veux bien parier qu’ils vous viendront pas en aide une deuxième fois !

— Tu as de bien mauvaises fréquentations, nain ! riposta l’un des cavaliers.

— Ton ami serait mort sans cette mauvaise fréquentation ! répliqua Wulfgar en désignant le cavalier étendu sur le flanc.

— Et il remercie le drow avec une lame !

— Nous sommes les Cavaliers de Nesme, expliqua le cavalier. Notre destin est de mourir au combat en protégeant les nôtres, et nous l’acceptons sans faillir.

— Fais faire un pas de plus à ton cheval et ton vœu s’ra exaucé vite fait, avertit Bruenor.

— Mais vous nous jugez injustement, dit Wulfgar. Nous nous rendons justement à Nesme. Nous venons au nom de la paix et de l’amitié.

— Vous n’entrerez pas… pas avec lui ! cracha un cavalier. Tout le monde connaît la corruption des elfes drows. Vous nous demandez de l’accueillir ?

— Bah, t’es un idiot et ta mère aussi, gronda Bruenor.

— Fais attention à ce que tu dis, nain, avertit le cavalier. Nous sommes cinq contre trois, et à cheval.

— Mets ta menace à exécution, alors, riposta Bruenor. Les vautours n’auront pas grand-chose à manger avec ces arbres qui dansent. (Il passa son doigt le long du tranchant de sa hache.) Donnons-leur quelque chose de meilleur à picorer.

Wulfgar balança facilement Crocs de l’égide à bout de bras. Drizzt ne fit pas un geste en direction de ses armes et son calme imperturbable était peut-être l’attitude qui déconcertait le plus les cavaliers.

Leur porte-parole n’était plus aussi sûr de lui après l’échec de sa menace, mais il poussa son avantage apparent.

— Mais nous ne sommes pas ingrats. Pour nous être venus en aide, nous vous permettrons de déguerpir. Disparaissez et ne remettez jamais un pied sur nos terres.

— On va où on veut, dit Bruenor d’un ton hargneux.

— Et nous ne souhaitons pas nous battre, ajouta Drizzt. Ce n’est ni notre but, ni notre souhait de porter atteinte à vous ou à votre ville, Cavaliers de Nesme. Nous passons, nous nous occupons de nos affaires et nous vous laissons vous occuper des vôtres.

— Tu ne t’approcheras pas de ma ville, elfe noir ! s’exclama un autre cavalier. Tu peux nous abattre sur le champ de bataille, mais il y en a cent de plus derrière nous et trois fois ce nombre derrière eux ! Partez maintenant !

Son discours hardi sembla redonner courage à ses compagnons. Leurs chevaux se mirent à piétiner nerveusement en sentant la tension soudaine de leurs brides.

— Nous suivons notre chemin, insista Wulfgar.

— Maudits soient-ils ! rugit soudain Bruenor. J’ai assez vu ces bouffons ! Maudite soit leur ville. Que la rivière les emporte ! (Il se tourna vers ses amis.) Y nous rendent service. On gagnera un jour ou plus en allant directement à Lunargent, au lieu de suivre la rivière.

— Directement ? questionna Drizzt. Les landes Éternelles ?

— Pire que le Val, tu crois ? répliqua Bruenor. (Il se tourna vers les cavaliers.) Gardez votre ville, et vos têtes, pour l’instant, dit-il. On va traverser le pont ici et nous débarrasser de vous et de Nesme !

— Des choses bien pires que des géants des marécages rôdent dans les landes aux Trolls, nain stupide, répliqua le cavalier avec un sourire narquois.

— Nous sommes venus détruire ce pont. Nous allons le brûler derrière vous.

Bruenor fit un signe d’assentiment et le regarda avec le même sourire narquois.

— Continuez vers l’est, avertit le cavalier. Nous allons passer le mot à tous les cavaliers. Si l’on vous repère à proximité de Nesme, vous serez tués.

— Prenez votre vil ami et décampez, persifla un autre cavalier, avant que ma hache trempe dans le sang d’un elfe noir ! Mais je devrais ensuite jeter l’arme souillée !

Tous les cavaliers se mirent à rire.

Drizzt ne l’avait même pas entendu. Il se concentrait sur un cavalier, au dernier rang du groupe. Un homme silencieux qui cherchait à passer inaperçu en évitant de prendre part à la conversation. Le cavalier avait fait glisser un arc de son épaule et approchait lentement la main de son carquois.

Bruenor avait fini de parler. Lui et Wulfgar tournèrent le dos aux cavaliers et se dirigèrent vers le pont.

— Viens, elfe, dit-il à Drizzt en passant devant lui. J’dormirai mieux lorsqu’on s’ra loin de ces chiens d’orques dégénérés.

Mais Drizzt avait encore un message à délivrer avant de tourner le dos aux cavaliers. En un mouvement rapide comme l’éclair, il tira l’arc qu’il portait dans le dos, saisit une flèche du carquois et la fit siffler dans les airs en la décochant. Elle s’enfonça dans la coiffe en cuir de l’archer dont il avait perçu les intentions, séparant ses cheveux en deux et se planta dans un arbre juste derrière lui. L’avertissement était clair.

— Tes insultes déplacées, je les accepte, et même je m’y attends, expliqua Drizzt aux cavaliers pétrifiés. Mais je n’admettrai pas qu’on tente de faire du mal à mes amis et je me défendrai. Je vous avertis et je ne vous avertirai qu’une fois : si vous tentez de nous attaquer, vous mourrez.

Il fit brusquement volte-face et descendit en direction du pont sans un regard en arrière.

Les cavaliers stupéfaits n’avaient certainement pas l’intention de retarder davantage le drow et ses amis. L’archer n’avait même pas cherché à récupérer son couvre-chef.

Drizzt sourit en pensant à l’ironie de son sort : il était incapable de se libérer des légendes concernant son peuple. Elles l’arrangeaient bien parfois. S’il était, d’un côté, considéré comme un paria et menacé, de l’autre, l’aura de mystère qui entourait les elfes noirs lui permettait souvent de dissuader toute agression éventuelle.

Régis les rejoignit sur le pont en faisant sauter une petite pierre dans sa main.

— Je les avais alignés, expliqua-t-il à propos de son arme impromptue. Il jeta la pierre dans la rivière. Si une bataille avait commencé, j’aurais porté le premier coup.

— Si ça avait commencé, corrigea Bruenor, t’aurais souillé le trou dans lequel tu te cachais !

Wulfgar commenta l’avertissement du cavalier sur leur itinéraire.

— Les landes aux Trolls, répéta-t-il d’un air sinistre en regardant en direction de la pente de l’autre côté, vers la région désolée qui s’étendait devant eux.

Harkle leur avait parlé de l’endroit : la contrée brûlée et les marécages sans fond, les trolls et des horreurs pires encore, pour lesquelles il n’y avait pas de nom.

— Un jour de gagné et peut-être plus ! répéta Bruenor avec entêtement.

Wulfgar n’était pas convaincu.

 

***

 

— Tu es renvoyé, dit Dendybar au spectre.

Les flammes se reformèrent dans le brasero, le dépouillant de sa forme matérielle, et Morkai réfléchit à cette deuxième rencontre. Combien de fois Dendybar allait-il invoquer sa présence ? se demanda-t-il. Le mage marbré n’avait pas encore complètement récupéré de leur dernière rencontre, mais il avait osé le convoquer de nouveau, si peu de temps après. Les affaires de Dendybar avec le drow et ses amis devaient être vraiment urgentes ! Cette supposition ne fit qu’attiser le mépris de Morkai envers ce rôle d’espion qu’il était contraint de jouer pour le mage marbré.

De nouveau, seul dans la chambre, Dendybar sortit de sa position de méditation en s’étirant et sourit d’un air sardonique en repensant à l’image que Morkai lui avait montrée. Les compagnons avaient perdu leurs montures et poursuivaient à pied leur voyage dans la région la plus terrible de tout le Nord. Dans un jour à peu près, le groupe qu’il avait dépêché, volant sur les sabots de ses chevaux magiques, les rattraperait, mais à quarante-cinq kilomètres au nord.

Sydney arriverait à Lunargent bien avant le drow.

Les Torrents D'Argent
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